Compte-Rendu 2nde Université du CADTM Afrique à Niamey

Unissons-nous contre les dettes illégitimes !

5 novembre 2016

La seconde Université du réseau CADTM Afrique s’est tenue dans la ville de Niamey, au Niger, du 7 au 9 octobre 2016 sous le thème « Unissons-nous contre les dettes illégitimes », pour des audits citoyens des dettes publiques et l’abolition des dettes illégitimes. Cette rencontre destinée à la formation des membres du Réseau a notamment permis d’échanger entre les quatre-vingt-dix militantes et militants venu-e-s de six pays africains (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Maroc, Niger, Sénégal, et Togo) et les représentant-e-s venu-e-s de pays européens (Belgique). Les conclusions de cette rencontre nous amènent à réaffirmer la nécessité d’élargir le front social commun entre le Nord et le Sud et de poursuivre notre combat pour que toutes nos luttes légitimes constituent les piliers du monde de demain (voir Déclaration du CADTM Afrique à l’issue de sa seconde université d’été à Niamey (Niger)).

1. Présentation

La réalisation de cette seconde université était bien entendu nécessaire. Nécessaire d’abord pour réaffirmer l’illégitimité d’une grande partie des dettes contractées depuis les indépendances. Nécessaire ensuite pour analyser le « système-dette » comme un mécanisme de transferts des richesses du Sud vers le Nord, mais également comme un mécanisme de transferts des richesses depuis les peuples vers des acteurs économiques et autres institutions financières internationales toujours plus éloignées des réalités humaines et sociales. Nous entendons-là bien entendu l’ingérence permanente des institutions de Bretton Woods que sont le FMI et la Banque mondiale dans la réalisation des desseins des populations et des gouvernements progressistes. Nous entendons également par-là les organisations internationales telles que l’OMC qui par ses politiques visant à favoriser le libre-échange renforce les asymétries et les inégalités entre les grandes puissances économiques et les périphéries, mais surtout entre les 1% du grand capital et les 99% que nous représentons. ALENA, ALECA, TTIP, CETA, APE, etc. si les sigles changent, la logique reste bien la même, et les conséquences pour les populations sont toujours plus dévastatrices.

Parmi les responsables de la situation économique mondiale, le rôle des banques centrales est également majeur, banques centrales qui ont aujourd’hui pour objectif premier de protéger les créanciers qu’elles qu’en soit le prix à payer pour le peuple, pour les peuples. De même, ces dernières années, les fonds vautours ont part leurs actions irresponsables conduit de nombreux pays dans des crises économiques et sociales profondes parmi lesquelles l’Argentine ou encore au Congo Kinshasa pour ne citer qu’eux. La tenue de cette université était nécessaire enfin pour faire de la lutte pour l’abolition des dettes illégitimes un élément central de l’action des mouvements sociaux ici en Afrique et partout dans le monde mais également pour inciter les gouvernements à mettre sur pieds des audits intégraux et citoyens de leur dette afin d’identifier les parts illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables de leur dette.


2. Les politiques des institutions financières internationales : vers une nouvelle crise de la dette

Mamane Sani Adamou (secrétaire général de l’Organisation Révolutionnaire pour la Démocratie Nouvelle), Rémi Vilain (CADTM Belgique) et Omar Aziki (Attac/CADTM Maroc)


2.1 Du Nord au Sud : panorama des politiques des institutions financières internationales : vers une nouvelle crise de la dette

Selon une étude réalisée par Jubilee Debt Campaign [1] en 2015, 93 pays sont aujourd’hui confrontés à de grandes difficultés d’endettement, public ou privé, parmi lesquels 22 doivent déjà faire face à une crise de la dette. Pour mieux appréhender cette situation, il convient d’en dégager les causes premières.

La diversité des sujets qui ont été abordés durant ces trois jours, sont autant de reflets d’une crise actuelle à la fois mondiale et pluridimensionnelle. Cette crise à multiples facettes se traduit d’abord par une crise du système capitaliste à travers notamment un système financier et bancaire totalement dérégulé et déconnecté des impacts économiques, politiques, sociaux et environnementaux de leurs agissements, alors même qu’ils sont les responsables en 2007-2008 de la plus grande crise économique que le monde est connu depuis la grande dépression de 1929 et qui aboutira notamment sur la seconde guerre mondiale. Des aspects qui sont malheureusement déjà palpables aujourd’hui. C’est une crise climatique également, directement liée au mode de production capitaliste, crise climatique qui démontre également une crise institutionnelle profonde, d’une part via le fiasco (voir En direct de la COP21 à Paris – Analyse de l’« Accord de Paris » et mobilisations )de la dernière COP21 à Paris (et celui annoncé de la COP22 au Maroc : voir COP 22 à Marrakech : Quelle stratégie pour les mouvements sociaux face au changement climatique ? ), et d’autre part notamment en Europe, avec un désaveu complet des populations envers les institutions européennes que ce soit sur le sujet du TTIP, de participation aux processus électoraux ou encore à travers le traitement réservé récemment à certains pays comme l’Irlande, le Portugal, l’Ukraine ou encore la Grèce. Nous vivons aussi une crise migratoire au sens où les gouvernements bâtissent un peu partout de nouveaux murs physiques alors même qu’ils ont une grande part de responsabilité dans la déstabilisation des régions concernées notamment au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne, et tentent ainsi de reconstruire des frontières psychiques pourtant largement combattus ces dernières décennies. Les spectres xénophobe, sexiste, fanatique ou encore fasciste ressurgissent avec plus ou moins d’ardeur selon les contextes et mettent à mal les alternatives progressistes issues des mouvements sociaux pourtant bien existantes. La crise de la dette, également bien présente s’inscrit ainsi comme une des composantes majeures de la crise du capitalisme global et de cette crise pluridimensionnelle.


2.2. Au Nord :

Rémi Vilain (CADTM Belgique)

A l’échelle mondiale, 25 pays sont aujourd’hui en pleine crise de la dette, dont 6 pays en Europe parmi lesquelles l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, Chypre ou encore la Grèce. On retrouve donc des pays jouant un rôle économique de premier plan au niveau européen. De même, 30 pays présentent actuellement un fort risque de crise de la dette extérieure publique, dont 5 pays en Europe où nous retrouvons notamment l’Italie, pourtant 5ème puissance économique européenne. Par ailleurs, 28 pays présentent aujourd’hui une crise de la dette liée au secteur privé, dont 4 dans les pays dits du Nord, parmi lesquels l’Australie ou le Royaume-Uni, bastion historique des politiques néolibérales. L’incitation aux crédits à la consommation via les faibles taux d’intérêts et la spéculation financière sont au centre de cette situation, situation qui n’est pas sans rappeler celle de 2007-08...

Dans cette conjoncture, les institutions financières internationales jouent bien sûr un rôle très important. Après avoir connu une période plus compliquée au début des années 2000, le FMI a largement profité de l’effet domino conjugué de la crise des subprimes de 2007 et de la crise bancaire et financière de 2008 pour intervenir au Nord et se refaire une santé économique. Ainsi, chronologiquement, ces dernières années le FMI est intervenu en Grèce en 2010 et en 2011 avec deux prêts d’un montant total de 48 milliards d’euros, au Portugal la même année avec une succession de prêts évalués à 26 milliards d’euros, ainsi qu’en Irlande, en Roumanie et en Ukraine en 2012, et enfin en 2013 à Chypre avec une intervention à hauteur de 10 milliards d’euros [2].

Alors que les pays dits du Sud ne connaissent que trop bien les méthodes du FMI, à savoir un prêt constamment assorti des fameux plans d’ajustement structurel et de leurs conséquences économiques, politiques et sociales, le FMI n’a pas changé de procédé pour les pays dits du Nord : réduction des dépenses publiques, licenciements massifs et non remplacement des départs en retraite des postes dans le secteur public ; baisse des budgets sociaux ; privatisations massives des secteurs stratégiques (eau, électricité, gaz, etc.) ; baisse des salaires et pensions ; augmentation des impôts sur les petits revenus et petites entreprises, tandis qu’a contrario le grand capital profitent de taux d’impositions très favorables. Les interventions du FMI ne sont finalement rien d’autres que des politiques d’austérité visant d’une part à rembourser les créanciers et à préserver leurs intérêts, et d’autre part à libéraliser toujours plus l’activité économique, afin d’officiellement « favoriser l’investissement, assainir ses comptes public, et favoriser le retour de la sacro-sainte croissance ». Pourtant derrière les interventions du FMI, la situation est inchangée, avec une crise économique et sociale qui ne fait que s’aggraver, tandis que les inégalités sociales sont elles amplifiées.

En parallèle, les banques centrales jouent également un rôle majeur dans l’endettement des États au Nord. Ainsi, la FED aux USA, la BCE en Europe, ainsi que les banques centrales de la Chine, du Japon et du Royaume-Uni tentent à l’heure actuelle de permettre au capital de dépasser la crise qu’il traverse (baisse des investissements, problème de croissance, récession économique, etc.) en injectant d’énormes quantités de liquidités dans les banques privées. Cela pose deux problèmes. D’une part, les banques privées ne profitent pas de ces liquidités pour assainir leur bilan et de se prémunir face à de probables futurs chocs financiers, alors même que ces banques privées sont globalement en très mauvaise santé (voir Que faire des banques ? Version 2.0). D’autre part, l’augmentation prochaine des taux d’intérêts aux États-Unis et/ou en Europe va amplifier une crise de la dette privée déjà bien présente (voir 2.1).

En conclusion, bien que la dette publique au Nord soit officiellement considérée comme soutenable, elle continue pourtant d’augmenter fortement dans une conjoncture très instable.


2.3. Au Sud : Perspectives d’endettement dans l’Afrique du Nord

Omar Aziki (Attac/CADTM Maroc)

Comme la majorité des pays africains, le sous-développement de la majorité des pays de la région arabe est lié au colonialisme qui a façonné le modèle de manque d’industrialisation et de dépendance. Après les indépendances, les économies sont restées exportatrices des ressources minières, agricoles et maritimes avec de faibles valeurs ajoutées et des fragilités liées aux fluctuations du marché mondial. Et depuis les années 1960, de nouveaux mécanismes d’hégémonie se sont installés : la dette et l’échange inégal. Les recettes libérales n’ont pas permis le développement du secteur privé et l’investissement à l’instar d’autres pays qui ont connu le même niveau de développement comme la Malaisie, la Turquie ou l’Inde. Ce blocage est lié à la nature des États rentiers avec domination d’un système de castes militaro-sécuritaires et bourgeoises dépendant de la sphère étatique. Les recettes néolibérales prônées par les IFI permettent à ces familles l’attribution népotiste de toutes sortes de licences et de monopoles, avec des partenariats avec le capital étranger pour piller et dominer les secteurs d’affaires juteux. Le système politique généralise quant à lui la corruption et répression.

A partir de décembre 2010 en Tunisie, une vague de révolutions et soulèvements populaires déferlent sur la majorité des pays de la région arabe dans un contexte de crise mondiale et de guerres impérialistes. Les grandes puissances impérialistes et les institutions économiques mondiales coordonnent leurs efforts pour discréditer ce processus révolutionnaire et camoufler leur responsabilité directe dans l’arriération et le pillage, et garantir leurs intérêts néocolonialistes de domination politique. Mais ces soulèvements ont manqué d’expressions politiques qui reflètent les aspirations populaires. Les nouveaux régimes installés n’ont pas marqué de rupture par rapport aux dogmes néolibéraux, et la démocratie est bafouée par des régimes intégristes ou militaires. Les puissances impérialistes exaspèrent la dislocation des pays avec des fuites massives et la montée de la barbarie terroriste. Elles coordonneront avec le FMI et la BM pour accorder de nouveaux prêts dans le cadre de « prêts de politique de développement ». La BM définit la « stratégie régionale MENA » ainsi que « l’initiative pour le monde arabe » dans le cadre de Partenariat Stratégique pour accélérer les réformes structurelles économiques et institutionnelles. On assiste alors à une nouvelle montée de l’endettement public externe et interne. La dette publique externe de l’Égypte a atteint 53 milliards de dollars en mars 2016 et le régime négocie un accord avec le FMI de 12 milliards de dollars. La Tunisie a également conclu un accord avec le FMI de plus de 5 milliards de dollar sur une période de 6 ans. Le Maroc a bénéficié d’une troisième ligne de liquidités et de précaution de 3,47 milliards de dollars sur 2 ans. L’Algérie qui a prêté 5 milliards de dollars au FMI en 2012 connait un retournement de situation et son déficit ne cesse d’augmenter suite à la chute des cours du pétrole, et le FMI lui insinue déjà ses recettes classiques de réformes et d’endettement.

Le processus révolutionnaire est toujours en cours dans la région arabe et les résistances sociales et les luttes des peuples continuent. Les peuples sont libérés de leur peur et développent un esprit revendicatif. Il y a une montée de nouvelles formes de luttes dans les rues et la répression s’avère de plus en plus inefficace. Les mobilisations de bases sont larges et de nouvelles formes d’organisation apparaissent.

Le rôle du CADTM consiste à accompagner les mobilisations sur les revendications réelles et nouer des relations de solidarité internationale. Il faut aussi dénoncer avec force les vrais responsables (IFI, OMC, G8 et les gouvernements en place) et les fondements des choix ultralibéraux dans le contexte actuel de crise. Nous devrions consolider les initiatives pour un audit de la dette en cours en Tunisie et ré-initier celle en veille en Égypte. Nous devrions garantir une coordination large sur les dossiers des dettes, des accords de libre-échange et des accaparements des richesses et développer les outils d’information pour une large visibilité du réseau dans la région.


3. Enjeux de l’endettement public et croissance économique au Burkina Faso

Rasmata Samandoulougou (Attac Burkina Faso)

Deux ans après la chute du régime dictatorial de Blaise Compaoré (voir Le CADTM Afrique félicite le Peuple burkinabè), la situation de l’endettement public du Burkina Faso est toujours préoccupante. La représentante d’Attac Burkina Faso, Rasmata Samandoulougou a ainsi dressé un portrait édifiant et non moins inquiétant, de la situation économique et sociale au Burkina puisque l’endettement constitue aujourd’hui, avec 90% des ressources financières, la principale source de financement des dépenses publiques [3].

Si comme bon nombre de pays africain, le taux de croissance du PIB est positif au Burkina Faso depuis plusieurs années, cela ne doit pas cacher pour autant les grandes difficultés du pays lié à son endettement public. Alors qu’il se situe aujourd’hui autour des 2,54 milliards de dollars, le service de la dette accapare aujourd’hui 21% du PIB, là où les dépenses dans le secteur de la santé ne représentent que 7,4% du PIB, dans un contexte où l’ensemble des dépenses publiques ont déjà baissé de 2,46.

Pourtant, les sources d’endettement sont illégitimes et odieuses (contractées par un régime dictatorial contre la volonté de son peuple ; dépensées de façon contraire aux intérêts du peuple et dont les créanciers connaissaient les intentions de l’emprunteur quant à l’usage qui sera fait de la dette contractée). Pour sortir de cette situation, les mouvements sociaux doivent notamment profiter du changement récent de gouvernement pour entreprendre un audit citoyen de la dette au Burkina et se libérer de ce fardeau.


4. Les audits de la dette et les luttes sociales : cas du Mali et de la Grèce

Aminata Mariko (CAD-Mali), Broulaye Bagayoko (Secrétaire général du CADTM Afrique et membre du CAD-Mali) et Rémi Vilain (CADTM Belgique)

Après avoir rappelé les conclusions du rapport d’audit réalisé par la Commission pour la Vérité sur la dette grecque déterminant le caractère illégitime, illégal, insoutenable et odieux de la dette grecque contractée depuis 1980, Aminata Mariko et Broulaye Bagayoko de la CAD-Mali (Coalition des Alternatives Africaines Dette et Développement au Mali), nous ont également informé sur l’audit citoyen de la dette actuellement en cours au Mali.

En dépit des immenses efforts déployés par les mouvements sociaux d’Afrique, d’Europe, d’Amérique, d’Asie pour l’annulation de la dette illégitime, les Institutions Financières Internationales notamment la BM et le FMI réagissent par des effets d’annonce d’annulation de la dette. Les timides allègements consentis au titre de l’initiative PPTE (Pays Pauvres Très Endetté) et de l’IADM (Initiative d’allégement de la dette multilatérale) ne sont en fait, qu’un moyen de pérenniser le système de l’endettement bafouant par la même les droits humains. Ainsi, en vue de s’enquérir du niveau d’endettement du Mali et de se doter d’arguments pour en réfuter la part illégitime, la CAD-Mali s’est engagée dans un processus d’audit citoyen de la dette publique (interne et externe) sur la période courant de 2002 à 2013. Elle met en pratique l’une des recommandations de sa précédente étude de l’endettement entre 1992 et 2002 du Mali qui insistait sur la nécessité de poursuivre l’audit citoyen de la dette.

Le Comité regroupe une équipe de personnes ressources appartenant à la CAD-Mali mais aussi aux organisations partenaires ayant des compétences spécifiques dans les domaines de l’économie politique et des arguments juridiques applicables à la dette. Il a pour tâche d’organiser le travail « technique » de recherche et d’analyse sur la politique d’endettement du Mali durant la période que couvre l’audit (2002 à 2013). Il est chargé du recrutement de consultants ponctuels, de la description de l’audit, de la coordination du travail de collecte de données sur la dette, etc. Deux axes de travail structurent les activités de l’audit :
- un axe Sensibilisation- Conscientisation ;
- un axe Recherche-Action.

Alors que la présentation publique des conclusions est prévue courant 2018, de nombreuses actions sont prévues en 2016 et en 2017 pour faire la lumière sur la dette publique du Mali, parmi lesquelles l’organisation de plusieurs sessions de formations des parlementaires et des citoyens sur le « système-dette », ainsi que sur les enjeux et les finalités de l’audit. Un premier draft du rapport d’audit sera également réalisé dans ce laps de temps. Plus largement, il est nécessaire de rappeler qu’il est primordial d’instaurer, sous contrôle citoyen, des audits de la dette (voir Menons l’enquête sur la dette. Manuel pour des audits de la dette du Tiers Monde).


5. Les accords de libre-échange, des accords coloniaux contre les peuples

Omar Aziki (Attac/CADTM Maroc). Les accords de libre-échange et le système dette, deux faces de la domination impérialiste

La crise capitaliste mondiale qui a commencé en 2006 aux États-Unis et s’est étendue au reste de la planète se poursuit avec ses multiples facettes : crise bancaire et crise des dettes publiques et privées dans les pays les plus industrialisés, crise climatique, crise alimentaire, crise des réfugiés, etc. La concurrence se fait vive entre les États impérialistes qui ont toujours pour rôle d’assurer des conditions favorables à l’accumulation du capital (guerres impérialistes et guerres commerciales) et de subordonner le droit commun au droit des entreprises au détriment des populations et de la nature. C’est l’un des enjeux majeurs de la nouvelle génération des traités de libre-échange qui complètent le dispositif constitué par les grandes institutions internationales comme l’OMC, le FMI et la Banque mondiale. Le système de la dette opère dorénavant au Nord comme au Sud comme un instrument clé de la dictature exercée par le capital sur les sociétés et joue un rôle directement politique (le cas de la Grèce le confirme) pour imposer le maintien de l’ordre néolibéral. De concert avec les traités de libre-échange, il bloque la mise en œuvre par un gouvernement de politiques alternatives permettant de sortir de la crise sociale.

Le libéralisme dans le contexte de la globalisation capitaliste repose sur trois libertés : la liberté de circulation/mouvement du capital, la liberté d’investissement, et la liberté des circulations des marchandises et des services. L’OMC considère le libre-échange comme la clé d’entrée des pays dans la globalisation. Les accords commerciaux n’incluent pas seulement l’organisation du commerce, mais tous les autres domaines économiques, sociaux et culturels. Les multinationales essayent de démanteler tous les systèmes locaux qui pourraient entraver leur expansion. En effet, l’ouverture des frontières leur permet la réduction des charges de production par la délocalisation, la commercialisation des surplus de produits subventionnés, et l’accaparement des entreprises, des services publiques et des ressources. Elles profitent de leurs avantages de productivité élevée, d’industrialisation et avancée technologique qui leur permet de dominer le marché mondial et réaliser des surprofits au détriment des pays pauvres dans le cadre de la division internationale du travail entre des pays exportateurs des produits primaires et des économies exportant des produits manufacturés.

Les accords de libre-échange n’incluent pas la liberté de circulation des personnes, la question sociale, la distribution des richesses et la question de la souveraineté nationale et de la démocratie.

La puissance des multinationales sur les États accentue la dépendance politiques des régimes des pays du Sud qui cherchent des intégrations dans des partenariats internationales pour gagner un peu sur le marché mondial sur le compte de la régression des secteurs locaux. Ils acceptent l’inondation des marchés locaux avec des importations venant des métropoles et la domination du capital étranger sur les services et entreprises privatisée. Ils contribuent au délabrement des secteurs industriels et agricoles locaux (faillite des petits producteurs).

Il existe une multitude d’accords de libre-échange dont le traité commercial pour une zone de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne TAFTA qui couvrira des pays représentant 45% du PIB mondial, L’Accord Économique et Commercial Global de libre-échange CETA entre le Canada et l’Union européenne, le partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), l’Accord de Libre-Échange Complet et Approfondi ALECA en Afrique du Nord (Maroc et Tunisie), etc. Ils ont tous augmenté les déficits commerciaux des pays du Sud et augmenté leur taux d’endettement. Le service de la dette absorbe une grande partie du budget de l’État et généralise l’austérité. Les accords coloniaux et le système dette sont alors les deux faces de la domination impérialiste.


6. Enjeux géopolitiques et stratégiques des industries extractives dans l’espace sahélo-sahélien

Mamane Sani Adamou (secrétaire général de l’Organisation Révolutionnaire pour la Démocratie Nouvelle)

La bande sahélo-saharienne développe une conflictualité endémique sur laquelle les différents acteurs ont peu de prise. Les facteurs déstabilisateurs et « crisogènes » sont nombreux et se combinent selon des logiques et des schémas extrêmement complexes [4] : défaillance politique des États locaux accentuant les tensions politiques internes, la militarisation croissante de la zone, la forte pression démographique, les trafics de drogues et d’armes, un climat d’insécurité généralisé, les rivalités des grandes puissances pour le contrôle des ressources naturelles. C’est à la lumière de la crise du système capitaliste qu’il faut appréhender les stratégies planétaires des puissances impérialistes et leurs interventions dans les pays de la périphérie, ceux de l’espace sahélo-saharien en particulier. L’expropriation économique, la recolonisation politique et l’interventionnisme militaire sont les trois piliers de cet interventionnisme.


6.1. Une nouvelle configuration mondiale

Depuis l’effondrement de l’URSS, nous assistons à une configuration mondiale très instable dans laquelle « les centres capitalistes exercent un contrôle monopolistique dans cinq domaines essentiels : la technologie, les ressources financières, les armes de destruction massive, la communication et les médias et l’accès aux ressources naturelles ». Dans l’espace sahélo-sahélien, cela se traduit notamment par un affrontement triple pour la captation des ressources naturelles et d’intérêts géostratégiques entre la Chine, les États-Unis, et la France.

Tandis qu’une des stratégies de pénétration de la Chine consiste à proposer à ses « partenaires » la construction de raffineries pour la production locale, elle use également d’importants investissements en infrastructures, de fourniture de matériel militaire ou encore de soutiens diplomatiques et financiers. L’exploitation de l’uranium constitue quant à lui un objectif majeur pour la République populaire de Chine. Alors que les États-Unis considèrent la Chine comme leur plus grand rival mondial actuel dans plusieurs domaines, leur stratégie en matière de politique étrangère en Afrique de l’Ouest semble dictée principalement par le lobby pétrolier. En parallèle, le gouvernement américain, toujours prêt à intervenir où bon lui semble, entreprend une véritable militarisation de l’Afrique pour faire prévaloir ses intérêts économiques et politiques et ainsi contrecarrer les appétits voraces d’autres puissances capitalistes. Dans ce « nouveau » contexte à visage multiple, la France a elle un peu perdue la face, preuve en est, le groupe Areva s’est trouvé menacé par l’octroi de nombreux permis à des pays comme la Chine. Pourtant, son emprise reste importante et la France agit toujours sur trois niveaux simultanés : la conservation de liens privilégiés avec les pays francophones de la sous-région ; la lutte en sous-main contre l’influence du Nigéria dans cet espace ; le contrôle des mécanismes multilatéraux à la fois économique et sécuritaire mis en place à la fin des années 1970 [5]. Bien que le Niger bénéficie de cette nouvelle concurrence pour faire entendre davantage sa voix, on peut néanmoins s’étonner qu’il n’en ait pas profité pour revoir à la hausse les conditions qui lui sont habituellement imposées par ces mêmes puissances.

Les infrastructures et acteurs locaux font eux face à de grandes difficultés. Tandis que la CEDEAO, créée en 1975, s’est progressivement muée en structure relais des puissances occidentales et instruments des chefs d’États, les mouvements armés (parmi lesquels les rébellions touarègues) apparaissent eux autant comme révélateurs de l’échec de la construction nationale dans les États sahéliens qu’un moyen privilégié de captation de la rente étatique par des élites qui se muent en véritables « entrepreneurs politiques ». Quant aux réseaux de trafics d’armes, de drogues et de personnes, ils sont une expression de l’économie capitaliste financiarisée et de l’effondrement des États locaux. Ils entretiennent des relations conflictuelles avec les États mais sont aussi en collusion avec les acteurs externes (transnationales) qui les instrumentalisent, et souvent partenaires des États et des rébellions.


6.2. Le défi démocratique

Les stratégies des grandes puissances constituent assurément l’obstacle majeur à la démocratisation du continent. La démocratisation véritable des États africains, conçue comme l’émancipation politique des africains et impliquant un développement économique et social au bénéfice des classes populaires, pourrait se révéler très dangereuse pour la réalisation des objectifs géostratégiques des puissances occidentales. Avec l’hégémonie actuelle du capital financier sur les forces productives et humaines, le pouvoir s’éloigne de plus en plus de la citoyenneté et la démocratie représentative s’est muée en moyen d’absorber le mouvement populaire et d’enfermer la notion de réalisme dans un espace préalablement délimité. Par ailleurs, la rente pétrolière a également contrarié les avancées démocratiques dans le continent en décourageant la réalisation de consensus politiques internes. Ainsi, le contrôle exclusif de l’accès à la rente pétrolière par la hiérarchie militaire en Algérie a longtemps freiné le besoin d’ouverture du système politique.

Dans ce contexte géopolitique et stratégique, il ne faut surtout pas perdre de vue que les crises identitaires sont largement suscitées par les puissances occidentales et entretenues par les élites politiques locales. Derrière les crises identitaires et ethniques se cachent des enjeux de pouvoir qui dissimulent à leur tour des intérêts économiques. Il y a donc urgence à aller vers une autre construction politique, à édifier une société nouvelle à même de relever les défis sus cités.


7. Les contrats de désendettement et de développement (C2D) en Afrique

Daouda Achille Esse (FNDP Côte d’Ivoire)

Parfois présenté comme un excellent outil de coopération au développement, l’atelier sur les C2D a suscité de nombreux débats permettant de mettre en lumière les nombreuses incohérences de ce dernier. Ainsi, le contrat de désendettement et de développement (C2D) s’inscrit dans la grande lignée des précédents programmes d’allégement de dette. Ce contrat qui concerne exclusivement les dettes bilatérales entre la France et 22 autres pays [6] s’inscrit d’ailleurs dans la poursuite de l’initiative PPTE. En effet, pour en « bénéficier », le pays doit au préalable atteindre le point d’achèvement de l’initiative PTTE.

Dans le cas de la Côte d’Ivoire ici étudié, il a été atteint en juin 2012. Deux C2D d’une période de 4 ans ont été conclu depuis, le premier a été signé le 1er décembre 2012 entre François Hollande et Alassane Ouattara pour un montant de 630 millions d’euro, tandis que le second s’élève lui à hauteur de 1.125 millions d’euros.

Selon l’AFD, « la France a fait le choix […] de mettre en œuvre un mécanisme de refinancement par dons des échéances dues, géré dans le cadre d’un contrat pluriannuel dit « de désendettement et développement » (C2D) : le pays débiteur continue d’honorer le service de la dette mais, sitôt le remboursement constaté, la France lui reverse une subvention d’un montant équivalent pour financer des programmes de lutte contre la pauvreté, sélectionnés d’un commun accord avec le pays bénéficiaire » [7]. Concrètement, plutôt que d’annuler totalement ses créances (en grande partie illégitime) envers la Côte d’Ivoire (et les 21 autres pays concernés), la France procède par à-coups à la transformation de ses créances en investissements (et non en « dons ») dans six secteurs à savoir : Agriculture-Développement rural-Biodiversité, Développement Urbain, Education-Formation-Emploi, Infrastructures-Transport, Justice-Etat de droit, et la Santé. Ainsi, en contrepartie du versement du service de la dette à la France deux fois par an (en mars et en octobre), le mécanisme reverse ensuite la somme reçue dans les banques centrales de la région puis vers la banque du pays concerné sous forme d’acompte.

Par ailleurs, si la France se félicite que le choix, le suivi et l’implémentation des projets autour de ces six secteurs soient réalisés de concert entre l’agence française de développement (AFD) et le secrétariat technique du C2D (ST-C2D) d’une part, et la société civile ivoirienne d’autre part, on peut légitimement se poser des questions. D’abord, l’AFD possédant un « avis de non objection (ANO) », elle possède de facto un droit de véto sur tous les projets. Ensuite, la sélection de la société civile n’a pas été faite au hasard, et c’est le réseau « Dynamique Citoyenne », le même que celui qui a participé à la mise en place des DSRP, qui a été retenu. Dès lors, une rupture avec les logiques néolibérales rencontrées au travers des Politiques d’ajustement structurel (PAS) et des Documents stratégiques pour la réduction de la pauvreté (DSRP) est malheureusement peu envisageable. On comprend probablement mieux pourquoi les mouvements sociaux ne sont pas impliqués dans les C2D.

En définitif, le C2D pose trois problèmes majeurs. Primo, par la transformation de créances en tranches d’investissement, le C2D ne permet pas de rompre avec la spirale d’endettement, le pays reste ainsi sous la perfusion de la France. Secundo, le C2D remet au goût du jour l’aide liée, permettant à la France de maintenir son emprise économique sur le pays, puisqu’elle détermine elle-même les règles. Ainsi, dans un précédent article sur les C2D au Cameroun, ces règles « éliminées de fait toutes les entreprises camerounaises » [8]. Tertio, via les deux mécanismes précédemment mentionnés, la Côte d’Ivoire (ainsi que les 21 autres pays éligibles) reste sous la domination de la France et se retrouve toujours privée de sa souveraineté sur son propre sol. Les C2D ? Définitivement des « contrats de domination et d’endettement ».


8. Les accaparements de terres et agro-business en Afrique (Mali, Burkina Faso, Sénégal, etc.)

Adama Soumaré (CADTM Sénégal), Omar Aziki (Attac/CADTM Maroc) et Boukari Ouédraogo du ATTAC/ Burkina

A la faveur de la crise du capitalisme au début du nouveau millénaire, le foncier est redevenu en Afrique et dans d’autres continents (Asie, Amérique latine) un enjeu qui a fait naître de grands appétits aux institutions financières internationales, aux entreprises transnationales, aux dignitaires des régimes gouvernementaux africains en place et autres groupes politico-financiers.

Leur motivation : Avec la complicité des gouvernants africains les terres appartenant aux populations, en général la paysannerie (petits producteurs), et qui constituent leur principale source de survie, sont expropriés et remis aux grands détenteurs de capitaux qui n’ont pour but que la conservation et la multiplication de leurs intérêts :
- Exploitation de ressources ;
- Elargissement de leurs territoires privés dans nos propres pays –les bases militaires, les espaces diplomatiques ;
- Agrobusiness ;
- Projet d’urbanisation et immobilier inapproprié et inadéquat avec les besoins des populations …

L’appétit des multinationales et de leurs complices locaux n’a d’égal que leur recherche insatiable de profit, à grande échelle. Dans le secteur de l’agriculture, cette pratique agresse gravement la souveraineté alimentaire et la propriété naturelle des populations africaines particulièrement rurales.

Et pour conséquences :
- Nous assistons à une autre voie de dépossession, de spoliation des ressources naturelles en Afrique. L’ampleur du fléau est énorme. Il est inquiétant - et sans peur des mots - il est quasiment génocidaire pour les populations rurales en particulier ;
- Nouvelles pratiques de d’exploitation, de domination et d’oppression des peuples africains.

Celles qui excellent le plus dans cet exercice de spoliation, en Afrique actuellement et ailleurs, sont les grandes entreprises françaises comme Crédit Agricole Bolloré, AXA mais également les entreprises chinoises plus récemment.

Les Grands promoteurs de cette pratique d’accaparement ne sont autres que les institutions financières internationales, particulièrement la Banque mondiale et le FMI.

Le rôle joué par ces deux institutions est avéré, des économistes du FMI ont même tenté de justifier cette pratique ignoble en arguant que l’acquisition de vastes propriétés dans les pays en développement offre à ces derniers la possibilité de rattraper des décennies de sous-investissement dans le secteur agricole, de créer des emplois , et de promouvoir les transferts de technologie (cf. la revue la revue « Finances et Développement » mars 2012).

L’ampleur du phénomène : Selon des études menées par la société TRENDEO (spécialisée dans la veille et la collecte d’informations www.trendeo.net), 45 millions d’hectares ont fait l’objet d’une transaction en Afrique subsaharienne .


8. 1. Les cas du Cameroun, Mali, Sénégal et du Bénin

Au Cameroun c’est la guerre des chiffres entre Bolloré et l’association Survie. Quand ce dernier annonce plus de 33.500 hectares de terres, la multinationale française prétend en détenir quelques 9.000 pour des plantations de palmiers à huile et d’hévéas. D’autres sources en dénombrent 150.000.

Selon Sékou Diarra, ancien Président de la CAD, au Mali, Les accaparements de terres sont très importants et sont le fait d’entreprises privées, nationales ou étrangères, de fonds souverains comme Malibya, fonds libyen, et même d’agences de développement, comme l’USAID, qui a acheté 14.000 hectares pour un projet de développement agricole.

Au Sénégal, au nord du pays, les petits producteurs (paysans et éleveurs) se sont vus exproprier leurs terres au bénéfice de multinationales, d’organismes internationaux et même au bénéfice de pontes du régime pour la pratique de l’agrobusiness et de l’agro-carburant. Pour illustration, le groupe d’investisseurs douteux Senhuile-Senéthanol SA s’est vu octroyer 20.000 hectares de terre fertile par le Gouvernement libéral du début des années 2000, pour la production d’agro-carburant sacrifiant les habitants de cette zone (environ 9 000 personnes) dont la survie est devenue précaire pour ne pas dire hypothécaire.

Toujours dans le Nord, l’État du Sénégal à la fin de la colonisation a octroyé des milliers d’hectares à la famille Mimerang pour une exploitation de plantation de cannes à sucre pour son industrie sucrière. Au-delà d’avoir réduit les petit producteurs en ouvriers agricoles cette famille a bénéficié et bénéficie toujours d’un protectionnisme sur la production et la commercialisation du sucre.

Fait plus grave, dans les négociations d’obtention de prêt, au début de sa gestion, l’actuel gouvernement libéral a rétrocédé à la France plusieurs hectares de terrains pour réinstaller ses forces militaires d’occupation.

Au Bénin, d’après une étude menée par Lionel Gbaguidi d’Agrivet Partner, une opacité entoure les transactions foncières. Les terres sont accaparées par des ministres des députés, de grandes entreprises comme Green Waves (Italie), BETEXCO (Nigéria), AGRITEC mais aussi par des groupes d’investisseurs chinois et arabes.

Contrairement aux organisations et syndicats de paysans, le phénomène qu’il soit l’œuvre d’investisseurs locaux ou étrangers entraîne à long terme la disparition de la classe paysanne productive et la naissance d’un prolétariat agricole précarisé, à travers l’expulsion à termes des petits producteurs et des communautés de leurs terres, le gouvernement béninois tente de justifier cette pratique comme une source de revenus et une possibilité de modernisation de l’agriculture.


8.2. Politique agricole et appropriation des terres au Maroc

Depuis l’indépendance du Maroc, l’agriculture est choisie comme moteur du développement économique du pays pour continuer à approvisionner les marchés européens avec les mêmes produits agricoles primaires que le colonialisme français produisit auparavant (agrumes, légumes, céréales, etc.). L’État procédait à des investissements publics massifs dans les infrastructures de base (construction des barrages et équipement de vastes superficies) et à l’appropriation de plus d’un demi-million d’hectares de terres récupérées de la colonisation aux grands propriétaires fonciers. Les grands capitalistes agraires qui naissaient sous l’ombre de l’État accaparaient une grande partie des investissements de l’État pour augmenter leurs richesses, et élargir leur patrimoine foncier. La balance alimentaire excédentaire au début tombera dans un déficit chronique. La crise de la dette éclata et provoqua le programme d’ajustement structurel agricole au début des années 1980 basé sur la réduction des investissements publics et des subventions, la privatisation de plusieurs activités de production et de commercialisation des produits agricoles et plusieurs sociétés agricoles publiques stratégiques, la libéralisation des prix des produits agricoles de base, etc.

En 2008, le Maroc adopta une « nouvelle » stratégie agricole (Plan Maroc Vert) sur les 10 ou 15 années à venir sous l’égide de la BM pour garantir les conditions d’investissement réclamées par les multinationales et les grands capitalistes locaux, et développer une agriculture intensive (agrobusiness) autour de produits à haute valeur ajoutée destinés surtout à l’exportation et sur l’extension de l’agro-industrie. La céréaliculture sera alors graduellement abandonnée : 5 millions d’hectares sur 9 millions d’hectares de SAU.

Accentuation de la concentration foncière : le secteur agricole de colonisation (plus d’un million d’hectares) constitue la base matérielle des grands propriétaires fonciers issus pour partie de la bureaucratie d’État (grands commis de l’État dans l’administration, l’armée, et la police) et des capitalistes agraires qui s’appuient à leur tour sur l’Etat. La superficie totale qui a été accaparée par cette couche est estimée à environ 900 000 hectares de terres fertiles et situées en majorité sur des périmètres irrigués, et ce après la grande opération de privatisation de ce qui restait des terres agricoles de colonisation récupérés et gérées par l’État à travers deux sociétés publiques (SODEA et SOGETA : de 324.000 hectares en 1973 à 124.000 hectares en 2003). Le « Plan Maroc Vert » compte fournir 700 000 hectares supplémentaires au profit des grandes agrégations agro industrielles, et bien sûr au détriment des petits paysans. Ce qui va accentuer la concentration foncière déjà existante : 1% des agriculteurs exploitent plus de 15% de la surface agricole utile, et ce sont des exploitations dont la superficie dépasse 50 hectares ; 71% des agricultures n’exploitent que 24% de la surface agricole utile, avec des exploitations inférieures à 5 hectares.

Et par ailleurs, la Banque mondiale, conseillère en développement auprès des régimes libéraux et autoritaires a mis en œuvre son projet dénommé Benchmarking the Business of Agriculture, incitant et accompagnant des entreprises internationales à acquérir des milliers d’hectares d’exploitations agricoles causant des dommages énormes à l’exploitation agricole familiale et en violant même des droits élémentaires des populations : droit à la terre et droit à l’alimentation.

C’est pourquoi le CADTM-Afrique doit s’engager réellement et se donner comme tâches :
- D’exiger la publication des contrats de concession de nos Etats avec les multinationales ;
- De s’engager concrètement dans les luttes des paysans et des populations pour la préservation de leurs propriétés ;
- De mobiliser les populations et les mouvements sociaux africains pour un audit citoyen de la Dette publique de nos Etats.


9. Les politiques des microcrédits en Afrique : Quels impacts sur l’autonomisation des femmes africaines ?

Rasmata Samandoulougou (Attac Burkina Faso), Aminata Mariko (CAD-Mali), Issa Nana Khadija (RNDD), Omar Aziki (Attac/CADTM Maroc)

Les répercussions directes des années d’application du plan d’ajustement structurel et des politiques néolibérales ultérieures comme le libre-échange, le démantèlement des services publics et la quasi abolition du régime des subventions de produits alimentaires de base ont conduits à la progression des niveaux de pauvreté, en particulier dans les zones rurales et les quartiers marginaux des villes.

L’application de ces politiques a conduit à la destruction des cultures vivrières en milieu rural, à la régression du nombre d’emploi stable proposant des salaires décents dans les villes et à un accroissement du travail précaire. Ainsi, des milliers de pauvres se sont vus privés des ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins quotidiens élémentaires et retrouvés face à un important déficit de financement.

Plutôt que de garantir un accès gratuit aux services publics, l’État a favorisé une soi-disant politique de « lutte contre la pauvreté », notamment par le biais d’initiatives privées. Inspirées par les institutions financières internationales, la micro-finance en est l’un de ses aspects principaux.

La micro-finance fournit des microcrédits avec des petits montants dans le but de créer de petits projets générateurs de revenus, de construire un logement ou d’assurer l’alimentation des foyers en eau et en électricité. En outre, la micro-finance peut proposer des prêts destinés généralement à la consommation, ou bien d’autres services financiers tels que la micro-assurance et le transfert d’argent.

Les institutions de micro-finance ont l’autorité absolue concernant la détermination des conditions des contrats des microcrédits. Si bien que les clients n’ont plus qu’à les accepter, sachant que le marché bancaire exige des garanties bancaires (titres de propriétés, salaires ou emploi stable) dont ils sont généralement dépourvus. Les clients qui se dirigent vers ces institutions sont motivés par la nécessité d’obtenir un financement pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de la vie quotidienne. Qui plus est, une partie importante d’entre eux vit dans un état de détérioration morale et psychologique, ce qui peut les pousser à succomber davantage aux conditions dictées par la partie la plus forte.

Les Institutions de la micro-finance (IMF) s’intéressent aux femmes en particulier. C’est un fait indéniable. Au niveau mondial, les femmes représentent environ 70 % de la clientèle des IMF. Certaines IMF ne ciblent que les femmes (17 % selon la « Campagne du microcrédit »), et d’autres ciblent majoritairement les femmes (29 % auraient plus de 80 % de femmes parmi leurs clients). Cette préférence pour une clientèle féminine est très marquée en Asie mais s’observe partout ailleurs dans le monde. Ainsi au Maroc, le pourcentage des femmes clientes des IMF a oscillé entre 75,5 % et 64 % entre 2003 et 2010.

Non seulement les prêts du microcrédit ne permettent que très rarement à leurs « bénéficiaires » de créer des activités génératrices de revenu (terminologie en usage dès lors que l’on parle des pauvres et des femmes) pérennes, mais ils créent au contraire plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.

La pratique du prêt collectif (à un groupe de femmes collectivement solidaires du remboursement des prêts obtenus par chacune) constitue une pression sociale terrible qui débouche souvent sur des conflits entre femmes. Et le renforcement de la spécialisation des femmes dans des secteurs peu productifs et peu rémunérés, l’alourdissement de leurs responsabilités, l’étirement de leur journée de travail, s’ajoutent à la spirale de surendettement dans laquelle le microcrédit plonge les femmes. Tout cela se traduit alors par une exacerbation de la violence conjugale, une surcharge de travail, de stress, de fatigue et dans bien des cas la déscolarisation des enfants, qui sont mis au travail pour rembourser les dettes, la prostitution des mères ou de leurs filles, et fréquemment hélas des suicides ou tentatives de suicide.

En réalité le microcrédit permet l’enrichissement des riches sur le dos des pauvres, et sa logique de profit est en contradiction avec le discours sur la diminution de la pauvreté. Les taux d’intérêts appliqués sont exorbitants. Il faut ouvrir une enquête sur les agissements des IMF envers les victimes. Il faut réclamer un système de crédit public avec un taux d’intérêt nul, un système d’aide public sans intérêts aux petits producteurs et des politiques publiques qui garantissent la satisfaction des besoins des populations pour une vie décente.

Les débats qui ont suivi les présentations ont démontré l’intérêt de l’assistance. Les alternatives comme les corridor, les tontines, les cotisations familiales ont été préconisé pour mettre fin aux souffrances que subissent les femmes.


10. La crise des migrations internationales. Quelles alternatives ?

Adegbenya Komivi Akpédjé ATTAC/Togo et Hamidou Manou Nabara ONG/ JMED

Les crises économiques, les politiques et programmes agressant gravement l’environnement mais aussi les conflits armées créés et entretenus par les puissances impérialistes capitalistes ont aggravé le phénomène, créant ainsi une crise migratoire sans précédent.

Pour s’en convaincre, il faut se référer aux chiffres annoncé par l’OIT qui estime à 230 millions le nombre de migrants dans le monde en 2013 et le HCR qui annonce 300.000 migrants ayant traversé la Méditerranée pour se rendre en Europe avec au total 3.211 personnes mortes ou portées disparue en 2016.

Une situation quasi identique est constatée dans les autres continents. On remarque un déplacement de populations des pays arriérés et pillés ou des pays en perpétuel conflit vers les pays supposés plus ou moins stables.
Une autre tendance notée est celle de la ruée vers des pays d’Amériques latine ou d’Amérique du Nord où la traversée de désert ou de zones arides fait beaucoup de victimes.

Cette situation est aggravée par la traite des personnes qui vient s’y greffer et qui est l’œuvre d’individus ou de groupes d’individus malintentionnés avec des complicités douteuses au niveau des frontières. Les jeunes africains souffrent beaucoup plus que quiconque de ces pratiques. Victimes des systèmes économiques libérales et des politiques d’emploi sectaires et sélectives, ils tentent leurs chances vers d’autres horizons. C’est ainsi qu’ils deviennent des proies faciles pour ces groupes maffieux et ces « esclavagistes des temps modernes ». Le cas illustratif est celui de ces femmes africaines – en particulier sénégalaises - qui migrent vers les pays arabes dans un circuit douteux et finissent par être opprimées et exploitées par leur employeurs arabes qui les soumettent à des travaux de régime forcés ou elles sont traitées quasiment en esclaves.

Qu’elle soit « régulière » ou « irrégulière », la migration connait un flux croissant inquiétant. C’est dire qu’il y a un échec des politiques mis en œuvre par les pays du Nord, les institutions internationales ainsi que les régimes néolibéraux en Afrique. Leurs attitudes actuelles de protectionnisme et de fermeture des frontières face à l’afflux ne fait qu’attiser stigmatisation et xénophobie.

En Afrique, précisément dans l’espace CEDEAO, les principes de libre circulation des personnes et des bien n’est que théorique. Les frontières sont fermement contrôlées et les tracasseries que subissent les individus est embarrassantes : extorsion de fonds, brimades, abus d’autorité, etc. C’est le cas de ces militant-e-s du CADTM-Afrique en partance pour l’Université d’été du CADTM Afrique et du RNDD à Niamey, qui se voient délester de quelques billets d’argent après contrôle et plus grave encore est l’arrestation et la garde à vue du militant ivoirien à la frontière avec le Burkina Faso
Malgré les mesures répressives et d’exclusion prisent par ces derniers, la vague ne cesse de monter sans qu’ils puissent faire face.

Ainsi que le soutiennent certains, en Europe, « Avant de chercher à se réfugier derrière des murs qui seront toujours franchis ou contournés et qui ne règleront jamais les problèmes humains, il convient d’analyser cette tendance pour trouver les réponses appropriées. »

Dans ce sens, le CADTM Afrique lutte pour :
- Des politiques réelles d’intégration et de solidarité à l’endroit des migrants qui constituent pour beaucoup de pays européens et américains une force de travail. Et éviter cette concurrence créée par le capitalisme international qui consiste à monter certains travailleurs contre les autres. Ce qu’on remarque avec le protectionnisme et la fermeture des frontières au Nord ;
- L’arrêt systématique du pillage des ressources naturelles des pays africains, l’arrêt des conflits armés et le retrait des troupes étrangères, des forces d’occupation, hors du continent africain ;
- L’annulation inconditionnelle des dettes des pays africains et l’audit des dettes empruntées par les régimes néolibéraux au nom des peuples sans leur aval ;
- La levée des restrictions, l’ouverture et la démilitarisation des frontières et rendre effective la libre circulation des biens et des personnes.

La déclaration de presse du CADTM Afrique à l’issu de sa seconde université d’été se trouve ici.

Notes

[1] Voir « Le nouveau piège de la dette », Jubilee Debt Campaign : http://www.cadtm.org/Le-nouveau-piege-de-la-dette

[2] Source FMI : http://www.imf.org/external/np/fin/...

[3] Base de données de la Banque mondiale, 2015.

[4] Mehdi TAJE, 2010, « Enjeux Ouest- africains, Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au sahel », Bulletin N°1 CESAO/OCDE, Club du Sahel.

[5] Niagalé Bagayogo-Penone, Janvier 2004, « Afrique : Les stratégies française et américaine », éditions L’Harmattan.

[6] Afrique (18 pays) : Burundi, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Liberia, Madagascar, Mauritanie, Mozambique, Ouganda, Rwanda, République Démocratique du Congo, Somalie, Soudan, Tanzanie, Sierra Leone ; Amérique Latine (3 pays) : Bolivie, Honduras, Nicaragua ; Asie (1 pays) : Myanmar (Birmanie)

[7] Voir « Qu’est-ce qu’un contrat de Désendettement et de Développement (C2D) ? : http://www.afd.fr/home/pays/afrique...

[8] Voir Owen Chartier et Pauline Imbach, « Le C2D : Contrat de domination et d’endettement » : http://www.cadtm.org/Le-C2D-Contrat-de-domination-et-d

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